Ce jour-là, il y avait un exposé en classe sur « d’où on vient ». Chacun devait parler de son quartier, de sa famille, de ce qui les rendait « uniques ». J’avais prévu de parler de littérature, de cacher mes racines derrière un poème de Prévert, mais au moment de parler, quelque chose a changé.
Devant moi, Lila — celle à la queue de cheval parfaite — venait de raconter comment elle passait ses étés à Saint-Tropez. Rires polis. Approbation silencieuse. Et moi, j’avais les mains moites, le cœur qui battait trop fort.
Je me suis levée.
— Je suis fille d’agriculteur.
Silence dans la classe.
— Je viens d’une ferme de patates douces à quinze kilomètres d’ici. Tous les matins, mon père est debout à 5h. Ma mère a les mains pleines de terre, mais c’est elle qui m’a appris à compter en triant les pommes de terre. Nos vacances, c’est la foire agricole. Nos week-ends, c’est la récolte. Et non, je n’ai pas une super connexion internet. Et mes bottes sentent peut-être la boue, mais elles me portent depuis toujours.
Je me suis arrêtée. Personne ne riait. Je croyais voir du vide, du jugement. Mais c’était autre chose. Une tension nouvelle.
Lila a levé la main.
— C’est vrai que tu conduis un tracteur ?
J’ai souri, un peu.
— Oui. Et j’ai appris à le faire avant même d’avoir un vélo.
Un rire a éclaté. Pas moqueur. Juste surpris.
Après le cours, une fille de l’arrière de la classe — je ne connaissais même pas son prénom — m’a glissé :
— C’était courageux. Moi, je viens d’un quartier ouvrier, et j’ai toujours essayé de faire semblant.
Ce jour-là, j’ai compris que ma différence n’était pas une faiblesse. C’était une force. Et que parfois, il suffit d’oser parler pour que la honte recule.