Quarante ans plus tard, j’ai revu mon premier amour – et croisé le regard d’un inconnu

J’ai retrouvé mon premier amour après quarante ans — mais je ne l’ai plus reconnu

Il s’appelait Marc. On s’est connus au lycée. Il était en terminale, moi en première. Toujours un peu en marge, une guitare sur l’épaule, les cheveux ébouriffés, et ce fichu bouton de chemise qu’il laissait toujours défait. Moi, j’étais discrète, studieuse, organisée — et follement amoureuse.

C’était ma toute première histoire d’amour. À l’époque, je croyais même que ce serait la seule.

On s’échangeait des petits mots pendant les cours, je m’échappais en douce pour le retrouver au pied de mon immeuble le soir, et on rêvait ensemble d’un avenir à deux, d’un petit appartement avec des rideaux rouges et un chat. Mais la vie, comme souvent, en a décidé autrement.

Marc a été admis dans une école à Lyon. Moi, je suis restée à Toulouse.

On s’était juré qu’on tiendrait bon. Qu’on s’écrirait, qu’on s’appellerait, que ce n’était qu’une question de temps. Mais après quelques mois, ses lettres se sont espacées. Puis il a envoyé un message court. « C’est mieux ainsi. » Pas d’explication. Pas d’au revoir.

J’ai pleuré, longtemps. Et puis j’ai tenté de l’effacer.

J’ai fini par épouser un homme bon. Jean. Avec lui, j’ai eu deux enfants, une maison pleine de livres, des vacances tranquilles en Bretagne, des week-ends où l’on faisait des confitures et des dimanches au goût de pot-au-feu. Mais il n’y avait jamais cette étincelle. Cette incandescence que j’avais connue avec Marc.

Alors parfois, dans les silences de la routine, je repensais à lui. À son regard de braise, à la façon dont il me faisait me sentir unique. Pas souvent, mais assez pour que ça me manque.

Après la mort de Jean, cette nostalgie est revenue plus fort. En triant de vieux cartons, je suis tombée sur une photo : nous deux, devant le lycée, lui avec sa guitare, moi avec mon sourire timide. Et je me suis demandé : que devient-il ? Est-ce qu’il joue encore ? Est-ce qu’il a eu une belle vie ? Est-ce qu’il pense encore à moi, parfois ?

Et puis, un jour, je suis tombée sur son nom en ligne. Une photo de profil, un visage plus marqué, les cheveux gris — mais ce même éclat dans les yeux. Mon cœur a raté un battement. J’ai cliqué. J’ai écrit, sans réfléchir.

Il a répondu deux jours plus tard.

« Je n’y crois pas… Tu veux qu’on se voie ? »

On s’est donné rendez-vous dans un café du centre-ville, un mercredi après-midi. J’ai passé plus d’une heure à choisir quoi mettre. Ce jour-là, j’ai ressorti mon parfum d’autrefois, celui que je mettais pour les occasions rares.

Il était déjà là, assis près de la fenêtre. Il s’est levé, m’a souri, m’a embrassée sur la joue. Il sentait le tabac froid et une eau de toilette familière. Je me suis assise.

Au début, c’était doux. On riait, on évoquait nos souvenirs, nos bêtises, nos rêves de gamins. Mais très vite, quelque chose a changé.

Marc parlait beaucoup. De lui. De ses désillusions. De son divorce, de ses enfants qu’il trouvait « ingrats », du monde d’aujourd’hui qu’il jugeait stupide. Il coupait la parole, glissait des remarques déplacées sur mon âge, sur ma « bonne mine malgré les années ». Il m’a demandé si j’étais toujours propriétaire de l’appartement. Si j’avais une bonne retraite.

Je le regardais, et je ne reconnaissais plus rien.

Ce n’était plus le garçon rebelle et tendre de mes souvenirs. Et moi, je n’étais plus la jeune fille silencieuse qui rêvait d’amour absolu. Il voulait me revoir telle qu’il m’avait laissée : douce, effacée, toute à lui. Mais cette femme-là n’existait plus. Elle avait grandi, vieilli, vécu, aimé, perdu… et appris à exister par elle-même.

Puis il a lâché, presque naturellement :

— Tu sais, je pourrais passer te voir de temps en temps… pour dîner. J’imagine que tu es seule, non ?

J’ai souri.

— Non, Marc. Je ne suis pas seule. J’ai moi-même. Et j’apprends enfin à m’aimer.

J’ai réglé ma consommation, je me suis levée, et je suis partie.

Ce soir-là, je me suis installée avec un livre dans ma cuisine. Ma fille m’a appelée comme tous les dimanches. Elle m’a raconté que ma petite-fille avait enfin réussi à faire du vélo sans les petites roues. Et j’ai senti une paix immense m’envahir.

J’étais exactement là où je devais être.

Certains souvenirs doivent rester là où ils sont nés — dans le passé. C’est là qu’ils brillent encore, intacts. Ce rendez-vous m’a offert une vérité simple mais libératrice : je ne regrettais pas Marc. Je regrettais la personne que j’étais à ses côtés.

Et aujourd’hui, je redeviens cette personne… mais selon mes propres règles.

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