La femme remettait au facteur une lettre avec la même adresse tous les jours, mais ne recevait jamais de réponse : le facteur décida de découvrir ce qui se passait ici.

Chaque matin, le facteur avait cette habitude, presque ancrée dans sa routine, de déposer une lettre dans une boîte un peu particulière. Il n’y avait pas de nom sur l’enveloppe, juste une adresse précise, dans un quartier tranquille de la ville. C’était une petite maison au rez-de-chaussée, où vivait une vieille dame qui semblait un peu plus fragile chaque jour. Il la rencontrait toujours au même moment, juste après avoir déposé son courrier. Elle avait l’air si calme et si sereine, malgré la solitude qui l’entourait.

Elle n’était pas de celles qui s’inquiètent facilement. Chaque jour, elle le saluait d’un sourire, et lui tendait une lettre, toujours la même, avec la même adresse, chaque jour, inlassablement. Le facteur s’était habitué à ce rituel. Il lui tendait la main, acceptait la lettre, et répondait toujours de la même manière.

— Bonjour ! lui disait-elle, d’une voix douce.

— Bonjour ! répondait-il avec un sourire, prenant l’enveloppe, ne manquant jamais d’ajouter : « Ne vous inquiétez pas, elle arrivera à bon port. »

Elle acquiesçait toujours d’un petit geste de la tête. Pourtant, au fond, le facteur ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi elle continuait à envoyer ces lettres, jour après jour, sans jamais recevoir de réponse. Chaque matin, la même routine, mais aucun signe de retour, aucun indice.

Un jour, après plusieurs mois de cette même scène, le facteur décida de briser la glace. Il n’arrivait plus à ignorer la situation, une étrange inquiétude se faufilait dans ses pensées chaque fois qu’il passait devant la porte de la vieille dame.

— Dites-moi… pourquoi écrivez-vous tant de lettres sans jamais recevoir de réponse ? osa-t-il lui demander un matin.

La vieille dame, qui s’apprêtait à lui donner une nouvelle enveloppe, se figea un instant. Puis, lentement, elle serra l’enveloppe contre elle comme pour la protéger.

— Non, il ne répond jamais… – sa voix se brisa presque.

Le facteur la regarda attentivement. Il se sentit soudainement mal à l’aise. Elle semblait tellement triste, mais d’une tristesse cachée, comme si cela faisait partie de sa vie, une douleur qu’elle portait en silence.

— Peut-être qu’il est occupé ? suggéra-t-il maladroitement, cherchant à la rassurer.

Elle sourit faiblement, un sourire triste qui ne parvenait pas à cacher la douleur de son regard.

— Peut-être… Mon fils a toujours été un bon garçon. Il aurait répondu s’il avait pu. Mais il ne peut plus…

Le facteur sentit son cœur se serrer. Quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi une mère, chaque jour, continuerait-elle d’écrire des lettres à son fils, sans jamais recevoir de réponse ? Ses questions demeuraient sans réponse, et une gêne persistante grandissait en lui. Pourquoi ce silence ? Pourquoi cette attente interminable ?

Un matin, incapable de contenir sa curiosité, il décida de suivre son instinct. Il se rendit à l’adresse inscrite sur les lettres. Peut-être qu’il découvrirait quelque chose qui expliquerait tout cela.

Lorsqu’il arriva devant l’immeuble, un étrange frisson le parcourut. L’endroit semblait abandonné, les fenêtres étaient couvertes de poussière, et les volets restaient fermés, comme si personne n’avait vécu là depuis des années. Un air de solitude pesait sur l’endroit. Intrigué et inquiet, il pénétra dans le bâtiment, trouvant son chemin jusqu’à l’appartement de la vieille dame.

La porte était entrouverte, comme si elle l’attendait. Il entra doucement et se retrouva dans un salon qui n’avait pas changé depuis longtemps. Un vieux fauteuil, une étagère pleine de photos jaunies par le temps, mais tout semblait figé, comme une scène d’un autre temps. Au centre de la pièce, une grande table où des piles de lettres étaient soigneusement empilées. Il remarqua que certaines enveloppes étaient ouvertes, mais n’avaient aucune réponse à l’intérieur. Puis, il tourna son regard vers le mur, où une photo en noir et blanc attira son attention.

C’était une vieille photo de famille. Un jeune homme, un peu plus jeune que lui, avec un sourire éclatant, posait aux côtés d’une femme, probablement sa mère. Il sentit un froid dans son dos, comme si quelque chose de sinistre se cachait derrière cette image.

Puis, il tourna la tête et aperçut une vieille boîte en bois posée sur une table. Curieux, il l’ouvrit lentement, découvrant des lettres bien pliées et jaunies, toutes adressées au même fils qu’elle écrivait chaque jour. En les parcourant rapidement, il comprit. Le fils de la vieille dame ne répondait pas, parce qu’il n’était plus de ce monde.

Il se tourna alors, bouleversé, et aperçu un portrait encadré sur la cheminée. C’était la même photo que celle qu’il avait vue sur la table, mais cette fois, un voile noir avait été peint dessus.

Il comprit alors. Elle n’écrivait pas pour recevoir une réponse. Elle écrivait pour ne pas oublier. Pour garder en vie la voix de son fils, pour garder vivante la mémoire de ce qu’il avait été.

Le facteur, le cœur lourd, sortit silencieusement de l’appartement, avec une lourde pensée qui le suivit tout au long de sa journée.