Elle hésita. Son reflet dans les parois métalliques lui renvoyait une image inconnue : une femme debout, forte, presque belle.

Le silence tomba autour de la table comme un rideau. Marta sentit le poids de trois regards sur elle, mais ce fut celui de la mère de Nathan, Eleanor Berg, qui la transperça comme un rayon X.

« Comment as-tu rencontré mon fils ? »

Marta sourit. Une fraction de seconde. Juste assez pour reprendre son souffle.

— Je chantais dans la rue. Il est passé, et… il s’est arrêté.

— Il s’est arrêté ? répéta Eleanor, comme si Nathan avait commis un crime contre sa lignée.

— Oui. Il a dit que je chantais faux, se moqua Marta. Puis il m’a proposé un café. Il faisait froid.

Un silence. Le père de Nathan esquissa un sourire, presque imperceptible. Eleanor, elle, fixait Marta avec une expression que ni perles ni chirurgie n’auraient pu adoucir.

— Et que faisiez-vous avant de chanter dans la rue ? poursuivit-elle, implacable.

Marta baissa légèrement les yeux. Puis releva la tête, droite comme un arc.

— J’essayais de survivre. Des petits boulots, des foyers, parfois rien du tout. Je n’ai pas eu la chance de Nathan, Madame Berg. Mais je suis encore là. Et je crois que ça compte.

Personne ne bougea. Même le serveur ralentit son pas en entendant ça.

Et puis, contre toute attente… Eleanor éclata de rire. Pas un rire moqueur. Un rire sec, franc, presque soulagé.

— Au moins, tu ne mens pas. Enfin une femme qui dit la vérité à table.

Nathan, figé depuis tout à l’heure, respira enfin. Marta croisa son regard. Il y avait de la surprise dans ses yeux. Une admiration qu’il n’avait pas prévue.

Le dîner continua, et Marta, tout en finesse, donna juste assez de détails — un voyage dans les Alpes à pied, un vieux chien sauvé d’un refuge, un recueil de chansons qu’elle écrivait sur les bancs de gare — pour intriguer mais ne jamais quémander. Elle était là, entière. Elle jouait le rôle, oui, mais elle le jouait en restant elle-même.

Plus tard, alors qu’ils regagnaient la suite d’hôtel, Nathan rompit le silence :

— Tu as bluffé ma mère. Tu sais qu’elle a licencié un architecte parce qu’il tremblait en versant le café ?

Marta sourit, fatiguée.

— Ce n’était pas du bluff. J’ai juste dit la vérité.

— Tu sais… tu aurais pu dire n’importe quoi. Mais tu as choisi la vérité. Pourquoi ?

Elle s’arrêta devant l’ascenseur.

— Parce que mentir, c’est ce que j’ai fait toute ma vie. Pour survivre. Ce soir, je voulais juste… respirer.

L’ascenseur s’ouvrit. Il ne la suivit pas immédiatement.

— Marta ?

— Oui ?

— Tu crois que… tu pourrais être ma fiancée une autre soirée ?

Elle hésita. Son reflet dans les parois métalliques lui renvoyait une image inconnue : une femme debout, forte, presque belle.

— Je ne suis pas une actrice, Nathan.

— Je sais.

— Alors… peut-être.

Les portes se refermèrent. Et dans ce moment suspendu, il n’y avait plus de jeu. Plus de rôle. Juste deux âmes qui, par accident ou miracle, avaient trouvé une scène où elles pouvaient enfin exister.

Épilogue :
Deux mois plus tard, les magazines titraient :
“La mystérieuse fiancée de Nathan Berg : de la rue aux réceptions privées”
Mais Marta n’accorda aucune interview. Elle vivait dans un petit appartement au-dessus d’un studio de musique qu’elle gérait avec l’aide de Nathan. Ils n’étaient pas encore mariés. Mais tous les soirs, il s’arrêtait devant sa porte et demandait :

— Une autre soirée ?

Et elle répondait toujours :

— Peut-être.
Avec un sourire qui valait toutes les promesses du monde.

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