« Prends tout ! »a dit sa femme au moment du divorce, un an plus tard, le mari regretta

— Prends tout, Volodya. Je ne me battrai pas pour des murs.

Natalya avait prononcé ces mots d’un calme étrange, presque doux. Dans le silence du cabinet d’avocats, cela avait résonné comme une sentence irrévocable. Vladimir avait froncé les sourcils, d’abord surpris, puis triomphant.

Il avait pris. L’appartement en ville, la maison d’été, la voiture, même les livres anciens qu’elle aimait tant. Elle ne demanda rien, sauf à garder son nom.

Durant les mois suivants, Vladimir flotta sur un nuage. Il organisait des dîners, réaménageait le salon, faisait venir une décoratrice. Il redécouvrait la liberté comme un adolescent ayant échappé à une surveillance invisible. Le soir, il se couchait tard, le ventre plein, la tête légère.

Mais lentement, l’euphorie s’éroda. Les amis se firent plus rares. Certains partaient en voyage, d’autres évitaient les invitations. Le silence de la maison s’épaississait.

Un jour, en cherchant une chemise propre, il découvrit que la buanderie était en friche. Il se rappela que c’était Natalya qui triait le linge, qui repassait. Une semaine plus tard, il se retrouva à porter une chemise froissée pour un rendez-vous professionnel, ce qui valut un regard réprobateur de son supérieur.

Le mois suivant, en s’asseyant sur le canapé, il remarqua que l’oreiller sentait encore un vieux parfum, discret mais familier. Le parfum de Natalya. Pour la première fois depuis des mois, il sentit quelque chose se fissurer.

Il tenta de l’appeler. Une, deux, trois fois. Aucun retour.

À l’automne, il la vit par hasard au parc Gorki. Elle riait avec une femme âgée dans un fauteuil roulant, un plaid sur les genoux. Natalya portait une écharpe jaune, ses cheveux courts encadraient son visage avec élégance. Il resta immobile, à distance, invisible à ses yeux. Elle avait l’air… heureuse.

Il rentra chez lui et alluma la télé, espérant étouffer l’écho de ce rire qu’il n’avait pas entendu depuis longtemps.

Les semaines passèrent. Il apprit, par l’intermédiaire de leur fils Kirill, que Natalya travaillait désormais dans un centre de soins. Qu’elle avait pris un petit appartement. Qu’elle prenait des cours de danse les jeudis. Et qu’elle semblait « renaître ».

Un soir d’hiver, il décida de lui écrire. Pas pour se plaindre. Pas pour supplier. Juste… pour dire.

« J’ai tout pris, Natalya. Tout ce que je croyais important. Et j’ai compris trop tard que ce que tu emportais, toi, c’était l’essentiel. Le silence paisible. L’odeur du café le matin. Les livres ouverts au bon chapitre. Les regards posés sans bruit.
J’ai tout pris. Mais aujourd’hui, je n’ai plus rien. »

Il ne reçut jamais de réponse. Mais chaque fois qu’il passait près du parc, il ralentissait le pas, espérant apercevoir une silhouette jaune, un éclat de rire, un signe que la vie, quelque part, continuait — mais sans lui.