Ma mère s’est opposée à mon mariage, « Cet homme n’est pas assez bien pour elle ! » — La réponse de mon fiancé l’a fait fuir.
Le soleil baignait les verrières du château d’Arsac, les invités sirotaient du champagne en attendant que la cérémonie commence. Tout était parfait — ou presque. Je sentais l’orage dans l’air, bien qu’aucun nuage ne se soit invité à notre mariage. Le vrai orage était assis au premier rang, robe bleu marine impeccable, regard glacial : ma mère.
Depuis le début, elle n’avait jamais accepté Raphaël.
« Il est gentil, oui… mais on ne bâtit pas une vie sur la gentillesse. »
« Tu étais brillante, Léa, tu pouvais viser plus haut. »
« Ce type vend des livres anciens. C’est un passe-temps, pas un métier. »
Toujours ces phrases, toujours ces piques. Mais aujourd’hui, c’était notre jour. Le nôtre.
Je tenais la main de Raphaël, tremblante. Il me regardait comme il le faisait toujours — avec cette foi tranquille en nous, en moi.
L’officiant se racla la gorge et prononça la fameuse phrase :
« Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il parle maintenant ou se taise à jamais. »
Un silence parfait. Puis… le raclement d’une chaise.
Ma mère se leva.
Un murmure traversa les rangées. Elle sortit un mouchoir brodé — trop théâtral pour être honnête.
— Je dois parler. Pour elle. Pour l’avenir de ma fille.
Elle se retourna vers la salle, la voix sûre, comme si elle plaidait un procès :
— Je l’ai élevée seule, je lui ai tout donné. Et je ne peux pas la regarder gâcher sa vie. Ce n’est pas de l’amour, c’est de la médiocrité ! Cet homme n’est pas à sa hauteur !
Elle pointa Raphaël du doigt comme un accusé.
— Elle aurait pu épouser un homme ambitieux, quelqu’un de sa trempe, pas un… bouquiniste ambulant !
Je voulus parler, mais Raphaël me pressa doucement la main. Il s’avança, avec cette lenteur sereine qu’il avait toujours.
— Vous avez raison, madame, dit-il calmement. Léa mérite le meilleur. C’est même tout ce que je veux pour elle.
Ma mère plissa les yeux, surprise. Il continua :
— C’est pourquoi je voulais vous montrer ceci.
Il sortit de sa poche une vieille lettre jaunie, pliée avec soin.
— Votre mari vous l’a écrite, peu avant sa mort. Vous l’avez reçue, mais vous ne l’avez jamais ouverte. Je l’ai trouvée dans une édition de Rilke que vous avez vendue dans ma librairie, il y a six mois. Vous n’aviez même pas remarqué qu’elle était là.
Le silence devint plus dense. Ma mère blêmit.
— Il y parle de vous. De Léa. De ses regrets. Il dit qu’il aurait voulu qu’elle apprenne à aimer, vraiment. À choisir l’âme, pas le statut. À écouter son cœur, pas l’avis des salons. Il espérait que, plus tard, elle serait libre.
Raphaël se tourna vers elle, plus doux encore :
— Je ne suis peut-être pas assez bien pour vous. Mais je suis assez vrai pour elle.
Ma mère chancela, attrapa le dossier d’une chaise et partit sans un mot, le visage ravagé. Fuite digne, mais fuite quand même.
L’officiant, après un silence stupéfait, reprit sa place. Je regardai Raphaël, incapable de dire quoi que ce soit. Il me regardait déjà.
Et là, seulement là, j’ai su : il n’avait pas gagné contre ma mère. Il m’avait sauvée d’elle.