Antoine n’était pas un homme impulsif. Comptable depuis quinze ans dans une entreprise d’import-export, il menait une vie calme avec Sophie, sa femme, et leur chat obèse, Moka. Leurs journées s’égrenaient au rythme des factures, des repas tièdes et des soirées silencieuses devant des séries jamais terminées. Ce n’était pas malheureux, non, mais ce n’était plus vraiment vivant.
Quand Élodie, une collègue de travail fraîchement arrivée, proposa qu’ils assistent ensemble à un colloque sur la côte basque, Antoine hésita. Il parla d’abord d’un “séminaire obligatoire” à Sophie, qui haussa les épaules sans réelle réaction. Il y vit, à tort, une forme de permission tacite.
La semaine à Biarritz fut douce, lumineuse et coupée du monde. Avec Élodie, tout semblait léger. Ils passaient leurs soirées en terrasse, pieds nus dans le sable, à rire de choses simples. Il n’y eut pas d’aveu, pas de promesse. Juste une parenthèse. Mais une parenthèse qu’Antoine avait voulu ouverte, presque désespérément.
Le septième jour, il reprit le train, un peu plus bronzé, un peu plus silencieux. Dans sa tête, il répétait les mots qu’il allait dire à Sophie. Peut-être “je suis désolé”, peut-être “je ne sais plus”, ou simplement “il faut qu’on parle”.
Mais lorsqu’il poussa la porte de leur appartement, tout ce qu’il croyait possible s’effondra.
Le salon n’était plus le même. Meublé de neuf, baigné d’une lumière chaude, orné de plantes qu’il n’avait jamais vues. Les murs portaient des tableaux vifs, modernes. Au centre, un piano droit. Sophie, en robe fluide, discutait calmement avec un homme aux cheveux poivre et sel, penché sur une tablette.
Elle leva les yeux, sourit à peine.
— Tu rentres plus tôt que prévu.
— Qu’est-ce que c’est que… tout ça ?
— Un projet que j’avais en tête depuis longtemps. J’ai enfin eu le déclic.
Antoine resta figé.
— Et lui ?
— Julien. Architecte d’intérieur. Mais il donne aussi des cours de piano. Je me suis inscrite. Tu ne te rappelles pas ? J’adorais en jouer, quand on s’est rencontrés.
Il balbutia, incapable de formuler une question cohérente. Elle poursuivit, sereine :
— Pendant que tu partais “travailler”, j’ai décidé de recommencer à vivre. Pas pour te punir. Pour moi. Je ne te demande rien. Mais je ne vais plus attendre que quelque chose change sans moi.
Elle lui offrit un regard doux, presque triste.
— Tu n’es pas le seul à avoir eu besoin d’air, Antoine. La différence, c’est que moi, je suis rentrée avec l’envie de me retrouver.
Antoine baissa les yeux. Autour de lui, tout avait changé. Et pour la première fois depuis longtemps, il se sentit étranger chez lui.