Cinq ans.
Cinq ans que Léo illuminait ma vie de ses rires, de ses mille questions, de ses colères aussi, parfois rugissantes — comme il se devait pour un petit lion. Il avait grandi dans l’odeur du bois brûlé, des sirènes de nuit, des histoires de courage que je lui racontais entre deux biberons et trois cauchemars.
On formait une équipe. Lui et moi, inséparables.
J’étais en train de réparer sa petite trottinette sur le perron quand elle est arrivée. Une silhouette fine, tremblante. Un manteau défraîchi, des mains qui serraient nerveusement un sac en toile. Et ces yeux… Des yeux que j’avais déjà vus. Chez Léo.
« Vous êtes Thomas ? »
Sa voix était rauque, comme si elle ne s’en était pas servi depuis longtemps.
Je me suis relevé lentement, les outils encore dans la main.
« Oui. Et vous êtes… ? »
Elle a pris une inspiration, comme si le poids de ses mots allait l’écraser.
« Je suis sa mère. Le garçon. Léo. C’est moi qui l’ai laissé devant votre caserne. »
Le monde s’est figé un instant.
Pas à cause de la surprise — j’avais toujours su qu’un jour, ce passé referait surface — mais à cause de ce qu’elle portait dans la voix. Ni menace, ni regret. Seulement… une demande de vérité.
Elle s’appelait Claire.
Elle avait à peine 22 ans aujourd’hui. Elle en avait 17 quand elle avait posé ce panier devant notre caserne, dans le froid de novembre. Elle était battue, fuyait un réseau. Elle pensait qu’en laissant Léo là, elle lui offrait une chance. Elle avait regardé de loin, cachée derrière les ombres, jusqu’à ce qu’elle me voie le prendre dans mes bras.
Depuis, elle avait refait surface. Un foyer d’accueil, puis un centre pour femmes en difficulté. Elle avait travaillé, étudié. Et surtout, elle n’avait jamais cessé de penser à lui.
« Je ne veux pas le reprendre, » m’a-t-elle dit d’un ton tranchant. « Il est à vous. Je le sais. Mais je voudrais… le connaître. »
Je l’ai observée longtemps. Son regard. Sa sincérité.
Le soir, j’ai regardé Léo dormir, blotti contre son lion en peluche — le même qu’il avait depuis la première nuit à la maison. Et j’ai su ce qu’il fallait faire.
Aujourd’hui, Claire vient chaque samedi. D’abord comme une amie, une invitée timide. Puis comme une présence régulière dans notre vie. Elle ne tente pas de prendre ma place. Elle trouve la sienne, doucement. Léo l’appelle Claire. Un jour, peut-être, il lui dira “maman”, mais ce sera à lui de décider. Moi, je reste son père. Rien n’a changé. Sauf que désormais, il a deux histoires d’amour au début de sa vie.
Et moi, j’ai appris que parfois, les rugissements du passé ne viennent pas pour tout détruire… mais pour rappeler d’où vient la force qu’on porte en nous.