Quand Elena m’a annoncé le prénom de son fils, quelque chose en moi s’est immédiatement figé. Mischa. Ce prénom, qui était le mien, celui que j’avais porté toute ma vie, le nom que j’avais choisi avec tant d’attachement et d’amour. Et maintenant, c’était celui de son fils, ce petit être qui venait de naître, ce bébé innocent, et pourtant il m’appartenait déjà d’une manière étrange, presque intrusive.
Je l’avais vu en premier, après son mari, bien sûr. J’étais la première à entrer dans la chambre, un sourire nerveux sur les lèvres, excitée de voir mon neveu. Elena semblait fatiguée, épuisée après l’accouchement, mais elle avait ce regard de fierté qu’une mère porte naturellement en elle. Quand elle m’a montré le bébé, j’ai oublié tous mes doutes et mes inquiétudes. Il était parfait, comme tout enfant devrait l’être. Petit, fragile, mais tellement vivant, si pur. Mais lorsque les mots sont sortis de sa bouche, ma gorge s’est serrée. « Il s’appelle Mischa », m’a-t-elle dit, comme une proclamation. Elle m’a regardée à ce moment-là d’une manière que je n’avais pas comprise, mais qui, rétrospectivement, me faisait penser à un défi. Elle n’avait pas besoin de me dire quoi que ce soit. Elle savait ce qu’elle faisait. Elle savait exactement comment cela me toucherait.
Je l’ai regardée sans un mot, mais à l’intérieur, une émotion que je n’avais jamais ressentie auparavant est montée en moi. Ce prénom n’était plus uniquement le mien. Ce lien que j’avais avec ma mère, celui qui était ancré en moi depuis ma naissance, avait été subtilisé. Elena avait fait ce geste en toute connaissance de cause, pour me marquer d’une manière ou d’une autre, pour affirmer sa position. Après ce jour-là, elle a commencé à m’éloigner de plus en plus. Elle vivait avec notre mère, qui était malade depuis plusieurs mois, mais je n’étais plus vraiment la bienvenue dans leur petite vie. Les appels étaient rares. Elle m’envoyait quelques messages de temps à autre, mais toujours quelque chose semblait faire obstacle. Une distance se creusait, et je ne savais pas pourquoi.
Puis, un jour, le téléphone a sonné. C’était un appel sec et brutal. « Maman est morte. Viens. » C’était tout. Aucun adieu, aucune douceur. La réalité me frappait de plein fouet. Je savais que ma mère était malade, mais je n’avais pas mesuré l’ampleur de son déclin. En arrivant chez elle, la maison semblait encore plus vide qu’avant. Tout était en ordre, mais l’air était lourd de l’absence. Elena était là, assise dans le salon, les yeux rougis de larmes, mais il y avait quelque chose de distant en elle. Elle m’a regardée sans un mot, comme si elle m’accusait de quelque chose, comme si ma présence n’était plus qu’une formalité.
La lecture du testament a été le moment où tout a pris sens. L’avocat, professionnel et impassible, a commencé à énumérer les biens. Les bijoux seraient partagés équitablement, mais pour la maison, les choses étaient plus complexes. Tout cela m’a paru flou au début. Je ne comprenais pas vraiment ce qui se passait. Puis, l’avocat a continué, et une phrase m’a frappée comme un coup de poing.
« La maison sera laissée à Elena. Elle a pris soin de votre mère dans ses derniers jours, et il est précisé que la propriété sera cédée à elle. »
Je ne m’attendais pas à cela. Pas de répartition équitable. Pas de discussion. Rien. La maison était à elle. Je n’avais même pas eu la chance de discuter de ce que cela signifiait, de savoir si ma mère en avait vraiment décidé ainsi. Et puis, il y a eu cette mention particulière que l’avocat a laissée en suspens, comme s’il ne voulait pas vraiment que l’on parle de ce détail.
Il a enfin ajouté, d’un ton grave : « Votre mère a mentionné un choix fait en son nom, une volonté personnelle. Elle souhaitait que le prénom de son petit-fils, Mischa, soit le même que celui de sa propre fille. Elle avait un lien très particulier avec vous. »
Je suis restée figée, comme si une vague de froid m’avait submergée. Elena n’avait pas seulement donné à son fils le nom de son propre frère, mais elle avait aussi récupéré le souvenir, l’héritage. Elle avait subtilisé une partie de ce que j’avais. Ma mère m’avait transmis son amour sous forme de ce prénom, et maintenant Elena m’enlevait ce lien.
Je n’ai rien dit pendant un long moment. Rien. Le silence était assourdissant. Elena me regardait d’un air presque triomphant, comme si elle savait exactement ce qui se passait dans ma tête. Mais elle ne disait rien, comme si elle attendait que je me rende à l’évidence. La maison était à elle. Le prénom, à son fils. Et moi ? Moi, je me retrouvais là, sans rien. Sans maison, sans héritage, sans véritable place dans cette famille.
Je suis sortie de la pièce, laissant l’avocat et Elena discuter des détails. J’avais besoin de comprendre. J’avais besoin de digérer ce qui venait de se passer. Pourquoi avait-elle fait cela ? Pourquoi m’avait-elle exclue ainsi, me laissant dans l’ombre de ses choix ?
Les jours suivants ont été un tourbillon de confusion et de colère. Je n’arrivais toujours pas à comprendre. Pourquoi me sentir trahie par un prénom ? Pourquoi ce geste m’avait-il tant affectée ? Et puis, au fond, je savais déjà la réponse. Elena avait toujours été celle qui avait su manipuler les situations à son avantage. Et aujourd’hui, elle avait tout pris : la maison, le nom, la place. Elle m’avait laissée de côté, et je ne savais plus comment avancer dans cette réalité qui n’était plus la mienne.