Sasha baissa les yeux. Il n’avait jamais connu de famille. L’orphelinat, c’était tout ce qu’il avait, mais cet endroit n’avait pas l’air d’être un refuge

Sasha errait dans le parc, son manteau trop large flottant derrière lui comme une ombre, tandis que le vent froid d’automne soufflait entre les arbres dénudés. Ses pas crissaient sur les feuilles mortes, et la solitude semblait l’envelopper comme un voile sombre. L’orphelinat, avec ses murs froids et ses règles sévères, lui paraissait maintenant encore plus oppressant. La veille, Lydia Fedorovna, l’éducatrice tyrannique, l’avait puni pour un vol qu’il n’avait pas commis. Il avait pris un peu de pain pour ses camarades, mais dans cet endroit où les règles étaient des murs invisibles, il n’y avait pas de place pour la générosité. Il en avait payé le prix : isolé et laissé seul dans un coin, le cœur lourd de honte.

Aujourd’hui, il était dehors, loin de la surveillance incessante de Lydia, goûtant à la liberté, même si elle était éphémère. Sasha marchait sans but, le regard perdu dans le sol, quand il aperçut au loin une silhouette. Un homme, âgé, qui semblait aussi solitaire que lui. Ses cheveux étaient grisonnants, son visage marqué par le temps et la fatigue, et ses vêtements semblaient avoir connu de nombreuses saisons. L’homme s’arrêta, croisant le regard de Sasha. Sans un mot, il s’approcha, un petit paquet dans les mains.

— Tiens, c’est pour toi, dit-il d’une voix douce.

Sasha le regarda, surpris. Il n’avait jamais imaginé qu’un inconnu viendrait lui parler, encore moins lui offrir quelque chose.

— Des biscuits, ajouta l’homme en souriant faiblement. Je t’ai vu souvent ici, tout seul. Ta famille n’est pas avec toi ?

Sasha baissa les yeux. Il n’avait jamais connu de famille. L’orphelinat, c’était tout ce qu’il avait, mais cet endroit n’avait pas l’air d’être un refuge. Un simple toit, des repas chaotiques, et des éducateurs qui, comme Lydia, ne comprenaient pas ses besoins. Il se contenta de secouer la tête, incapable de répondre.

— Je… je… murmura-t-il, d’une voix timide.

L’homme le regarda un instant, comme s’il voulait dire quelque chose de plus, mais il se contenta de hocher la tête et de lui tendre le paquet. Sasha prit les biscuits avec une hésitation, les serrant contre lui comme un trésor, puis il s’éloigna silencieusement, évitant de croiser les yeux de l’homme.

Il marcha encore un peu, le paquet à la main, avant d’apercevoir un autre vieil homme assis sur un banc, les mains tremblantes, la tête penchée, perdu dans ses pensées. Ce n’était pas la première fois qu’il le voyait ici, à cet endroit déserté par les passants. L’homme semblait toujours aussi solitaire, aussi perdu que lui. Sasha sentit une étrange compassion pour lui, une connexion tacite qui le poussa à s’approcher.

— Bonjour, dit-il timidement, ses mots flottant dans l’air frais du matin.

L’homme leva les yeux, un regard vide, et sourit faiblement. Il n’était pas surpris par l’apparition du garçon, comme si lui aussi avait vu en Sasha un être qui comprenait la douleur du monde.

— Bonjour, répondit le vieil homme d’une voix éraillée. Que fais-tu ici, tout seul, mon garçon ?

Sasha s’assit à côté de lui, sans vraiment savoir pourquoi. Il se sentait à l’aise dans cette compagnie silencieuse. La solitude semblait moins pesante ici. Il ouvrit le paquet de biscuits et en mordit un morceau avec avidité. Après avoir englouti une bouchée, il tendit le paquet vers le vieil homme.

— Pourriez-vous en avoir un morceau ? demanda-t-il doucement, presque gêné par sa propre générosité.

L’homme le regarda, ses yeux brillants de reconnaissance, mais aussi d’une étrange mélancolie. Il tendit la main, et Sasha lui donna un biscuit, un geste simple mais rempli de compassion. Le vieil homme croqua dans le biscuit en silence, et pendant un instant, les deux restèrent là, côte à côte, dans le parc désert, sans avoir besoin de dire un mot.

Sasha se sentait bien ici, loin de l’orphelinat, loin de la voix sévère de Lydia. Il se sentait compris, même sans que le vieil homme ait prononcé un seul mot de plus. Ce moment de calme, cette petite tranche de bonté, lui donnait l’espoir qu’il y avait encore des gens qui comprenaient la solitude. Il se rendait compte qu’il n’était pas le seul à souffrir, que le monde n’était pas seulement un endroit où l’on se battait pour survivre, mais un lieu où l’on pouvait, parfois, se donner les uns aux autres un peu de chaleur humaine.

Lorsque l’homme finit son biscuit, il tourna lentement son regard vers Sasha.

— Tu sais, mon garçon, parfois la vie nous donne des leçons difficiles, mais il est important de savoir accepter la solitude et d’en faire quelque chose de beau. La vie n’est pas toujours ce qu’on attend, mais elle vaut la peine d’être vécue, si on trouve les bonnes personnes pour la partager.

Sasha écouta attentivement, absorbant chaque mot. Le vieil homme avait raison, en quelque sorte. La vie ne serait peut-être jamais parfaite pour lui, mais il y avait encore de la beauté dans ces petits moments d’humanité. En partageant un biscuit avec un inconnu, en brisant la solitude par un simple geste, il se sentait un peu moins seul.

— Merci, murmura Sasha, presque à lui-même, comme si ces quelques mots avaient allumé une lueur d’espoir dans son cœur.

Ils restèrent encore un moment sur ce banc, savourant la paix, avant que le silence ne se fasse de plus en plus lourd autour d’eux. La neige commença à tomber doucement, recouvrant le parc d’un manteau blanc et silencieux. Sasha se leva finalement, jetant un dernier regard au vieil homme, puis s’éloigna à son tour, mais avec un léger sourire aux lèvres. Il savait qu’un jour, il reviendrait ici, à ce même banc, où il avait trouvé un réconfort inattendu, un fragment de chaleur dans un monde souvent froid et indifférent.