Après un long voyage d’affaires de trois jours qui l’avait complètement épuisé, Adrien rentra enfin chez lui, rêvant seulement de s’effondrer dans son lit et de dormir douze heures d’affilée.
Mais en saisissant ses clés, il se figea soudainement : de la musique s’échappait de l’appartement. C’était inhabituel — Camille n’avait jamais mis la musique aussi fort.
La porte s’ouvrit sans résistance. Le couloir était éclairé, mais les chaussures habituelles de sa femme avaient disparu. À leur place, sur l’étagère, trônait un sac rouge vif, petit, élégant, totalement étranger au style de Camille.
« Camille ? » appela-t-il en retirant ses chaussures. « Es-tu là ? »
La musique s’interrompit immédiatement. Une jeune femme au carré court, vêtue d’un pantalon décontracté et d’un t-shirt ample, apparut dans la cuisine, tenant une tasse de thé fumante, le regard calme, presque étonné.
« Et vous êtes ? » demanda-t-elle, comme si sa présence ici était naturelle.
Adrien cligna des yeux, pensant un instant s’être trompé d’étage, mais la rayure familière sur le chambranle et le paillasson à motifs félins choisis par Camille la saison précédente lui confirmèrent qu’il était bien au bon endroit.
« Je suis le propriétaire de cet appartement, » dit-il lentement. « Et vous, qui êtes-vous ? Où est ma femme ? »
La femme posa sa tasse sur une petite table d’appoint.
« Je crains que vous fassiez erreur. Je suis la propriétaire. Je m’appelle Élise et je vis ici depuis un mois. »
Un frisson parcourut l’échine d’Adrien. Il pensa qu’il s’agissait d’une mauvaise plaisanterie ou d’une erreur.
« Écoutez… » commença-t-il, mais Élise était déjà partie dans une autre pièce.
Une minute plus tard, elle revint avec un dossier rempli de documents.
« Voici les papiers : contrat de vente, acte de propriété. Tout est officiel. »
Adrien saisit les documents avec des mains tremblantes. Malgré sa fatigue, il reconnut immédiatement la signature de Camille, si caractéristique, ornée d’un trait fluide. La date indiquait que la transaction remontait à un mois.
« C’est une plaisanterie, n’est-ce pas ? » murmura-t-il. « Un canular ? »
« Pas du tout, » répondit Élise calmement. « J’ai acheté cet appartement à Camille Laurent. Elle voulait vraiment vendre et a accepté une bonne offre. »
Confus, Adrien entra dans le salon et s’effondra dans un fauteuil. La pièce semblait complètement changée : de nouveaux rideaux, des meubles différents, des odeurs inconnues. Les photos de famille avaient disparu des murs, la couverture préférée de Camille n’était plus sur le fauteuil, et les livres sur les étagères lui étaient étrangers.
Il sortit son téléphone et composa le numéro de Camille. « Le téléphone du correspondant est éteint ou hors de portée. »
« Ne vous embêtez pas, » dit Élise. « Elle a changé de numéro. »
« Comment le savez-vous ? » se tourna-t-il vivement vers elle.
« Elle m’a prévenue que vous rentreriez et chercheriez à la joindre. Elle m’a demandé de vous dire que c’est son choix. »
« Quel choix ?! » s’emporta Adrien en se levant d’un bond. « Nous sommes ensemble depuis dix ans ! Nous avons une entreprise commune, des projets en commun. Elle ne pouvait pas juste… »
« Partir ? » termina Élise. « Elle l’a fait. »
Il se précipita dans la chambre. La penderie était remplie de vêtements inconnus — pas un seul de Camille. Dans la salle de bains, des produits de soin qui ne lui appartenaient pas. La cuisine aussi semblait être habitée par une autre personne. C’était comme si Camille n’avait jamais existé ici.
Adrien appela frénétiquement amis, famille, collègues, mais personne ne semblait au courant — ou faisait semblant de ne pas savoir.
« Peut-être devriez-vous vous calmer ? » réapparut Élise, une tasse de thé à la main. « Vous n’avez pas l’air bien. »
« Cette tasse de thé peut aller se faire voir ! » rugit-il. « Que se passe-t-il ? Vous devez savoir quelque chose ! »
Elle haussa les épaules avec indifférence.
« Je sais juste qu’elle a vendu l’appartement et qu’elle a décidé de commencer une nouvelle vie. »
« Sans moi ? » murmura-t-il, le monde autour de lui se brouillant.
« Était-ce vraiment si beau avec vous ? » demanda soudain Élise.
Adrien la regarda attentivement — vraiment pour la première fois. Quelque chose dans ses yeux lui semblait familier, un souvenir lointain…
« Qui êtes-vous vraiment ? » demanda-t-il, le cœur serré par une inquiétude sourde.
La femme sourit, triste mais pleine de compréhension :
« Je suis la sœur de Serge, le même Serge dont Camille parlait parfois. »
Adrien sentit un froid lui traverser le corps. Bien sûr qu’il connaissait Serge — le premier amour de sa femme, son camarade de classe. Ils en avaient déjà parlé… ou pas ? Quand avaient-ils vraiment parlé de la vie, en dehors du travail ?
« Ils se sont rencontrés par hasard il y a deux mois dans un café, » poursuivit Élise. « Camille était déprimée. Elle lui a raconté comment votre relation s’était distendue. Comment elle était devenue invisible à vos yeux — d’abord dans les détails, puis dans tout le reste. »
Il serra les poings instinctivement.
« Je travaillais ! Pour nous deux ! »
« Vraiment ? » pencha-t-elle la tête. « Quand l’avez-vous vraiment écoutée pour savoir comment elle allait ? Pas ses comptes, ni ses projets, mais son moral ? »
Adrien essaya de répondre, mais ses mots restèrent coincés. Il ne se souvenait pas.
« Elle a tenté d’attirer votre attention, » la voix d’Élise s’adoucit. « Elle s’est inscrite à des cours de danse, a changé de coiffure, a commencé à prendre des antidépresseurs. Mais vous n’avez rien vu. »
Chaque mot était un coup. Il se souvenait vaguement : Camille avait mentionné la danse, montré une nouvelle coupe de cheveux. Mais il était trop absorbé par un projet, un contrat important… Le reste s’était effacé.
« Puis Serge est apparu, » s’arrêta Élise près de la fenêtre. « Il sait écouter, remarquer les détails. Avec Camille, il a fait ce que vous n’aviez plus fait depuis longtemps — il lui a redonné vie. »
« Elle aurait dû me le dire ! » s’exclama Adrien.
« Elle l’a fait, » répondit-elle doucement. « Vous ne l’avez juste pas entendu. »
Il s’effondra dans le fauteuil, le monde se dérobant sous lui. Les souvenirs affluèrent : Camille l’invitant en vacances, lui proposant de discuter, pleurant dans son oreiller. Et il…