Le patron découvre que la plongeuse dérobe des sacs entiers — mais en voyant ce qu’ils contiennent, il décide même de lui venir en aide

Louis fixait l’écran avec un air préoccupé. Son restaurant venait tout juste de fêter son premier mois d’ouverture, et il n’avait pas encore les moyens d’engager un service de sécurité professionnel. Pourtant, il savait bien que certains employés pouvaient abuser, à des degrés divers, et il ne pouvait se permettre que cela nuise à son affaire.

Pour ouvrir ce restaurant, Louis avait économisé pendant des années. Et maintenant, alors que tout semblait mieux fonctionner que prévu, il avait surpris la plongeuse en train de quitter les lieux, un grand sac à la main. Les caméras n’avaient été installées que trois jours auparavant, ce qui signifiait qu’elle pouvait bien emporter des choses depuis un mois. Sans hésiter, il se leva, décidé à mettre fin à ce vol. C’était surprenant, car la jeune femme semblait bien trop discrète et douce pour ce genre de comportement, mais elle dissimulait peut-être bien son vrai visage.

Le restaurant fermerait dans une demi-heure. La plongeuse et la responsable étaient les dernières à partir. La plongeuse sortit par une porte dérobée, que la responsable verrouilla ensuite de l’intérieur. Cette porte ne s’ouvrait pas de l’extérieur, ce qui expliquait pourquoi la responsable n’avait rien vu ni su. Tout était parfaitement arrangé pour la plongeuse.

Louis habite à peine à cinq minutes en voiture, à quelques rues de là. Il gara sa voiture dans l’ombre et éteignit les phares, prêt à attendre l’apparition de la jeune femme.

Valérie ajusta doucement le bonnet de sa fille, Emilie.

— Voilà pour aujourd’hui, chérie. Tu as été sage. Encore un peu de patience, maman arrive tout de suite te chercher.

Elle vérifia une dernière fois son sac : les aérations dans le tissu étaient libres, la petite devrait être à l’aise. Il y a une demi-heure, elle lui avait donné son biberon, alors Emilie dormait profondément. Valérie savait que ce qu’elle faisait n’était pas juste. Si quelqu’un découvrait son secret, on pourrait lui enlever son enfant. Mais elle n’avait pas d’autre choix.

Le lait maternel avait cessé de couler peu après la naissance, et le lait en poudre coûtait si cher que les aides sociales ne suffisaient même pas à couvrir une semaine. Les couches, les charges… Elle ne savait plus comment s’en sortir. Puis elle avait entendu parler d’un poste dans ce nouveau restaurant. Lors de l’entretien, elle n’imaginait pas encore comment elle allait gérer son travail et sa fille. Elle avait désespérément besoin d’un emploi, mais sa voisine ne pouvait garder Emilie que deux fois par semaine, en échange de ménage.

Quand Valérie découvrit qu’elle serait la seule plongeuse, un plan fou germa dans sa tête. Trop risqué, trop incertain, mais elle décida de tenter sa chance.

La première fois qu’elle amena Emilie au travail, la bébé n’avait qu’un mois. Contre toute attente, l’enfant resta calme, endormie dans le local de stockage, propre et bien éclairé, soigneusement entretenu par Valérie.

Orpheline depuis l’enfance, elle avait grandi chez sa grand-mère, une femme rêveuse peu intéressée par les tâches ménagères. Dès dix ans, Valérie avait appris à se débrouiller seule.

André avait conquis son cœur d’un regard. Elle était folle amoureuse. Quand sa grand-mère mourut, elle invita aussitôt André à emménager chez elle. Il accepta, mais dès qu’il sut qu’elle était enceinte, il disparut, emportant tout ce qui avait de la valeur dans l’appartement.

Trop honteuse pour porter plainte, Valérie se renferma sur elle-même, évitant de sortir. Tout aurait pu s’arranger si ces hommes n’étaient pas venus la menacer : vendre son appartement ou subir un “accident” qui laisserait Emilie orpheline. Ce jour-là, le lait disparut totalement. Valérie comprit que ses épreuves venaient à peine de commencer.

Le travail devint son salut : elle était payée chaque semaine et n’avait plus à s’inquiéter du repas. Mais elle redoutait l’arrivée des trois ou quatre mois d’Emilie, se demandant si elle tiendrait le coup.

Valérie posa son sac, ferma la porte derrière elle, et se retrouva nez à nez avec Louis.

— Oh ! s’exclama-t-elle.

— Oh, moi aussi, dit-il avec un sourire. Montre-moi ce que tu caches dans ce sac. Avec ce volume, aucun restaurant ne tiendrait face au vol.

Elle plaça instinctivement le sac devant elle.

— Je n’ai jamais volé quoi que ce soit. Tu n’as pas honte ?

— Devrais-je ? ricana-t-il, puis reprit : Montre-moi ce qu’il y a dedans, ou j’appelle la police.

Valérie soupira, consciente qu’elle n’avait pas le choix, surtout qu’Emilie commençait à remuer dans le sac. Elle s’agenouilla, ouvrit le sac, et Louis écarquilla les yeux.

— Un bébé ? C’est le tien ? Tu travailles avec un enfant ?

Valérie prit sa fille dans ses bras.

— Je suis virée ?

— Attends, on ne va pas parler de ça tout de suite… Je peux te raccompagner ? Tu habites loin ?

— Non, c’est juste au coin de la rue.

— Alors je vais te raccompagner. Donne-moi ce sac maudit.

Louis comprenait bien que Valérie ne prenait pas sa fille au restaurant parce qu’elle avait une vie facile. Lui-même avait grandi dans une famille alcoolique, et sans être sorti de là, il aurait peut-être suivi le même chemin.

Ils arrivèrent chez elle. Louis ne se pressa pas pour partir : il monta avec elle jusqu’à son appartement. Lorsqu’elle le regarda, il demanda :

— Je peux prendre un thé ?

Valérie haussa les épaules. Le thé, elle en avait toujours. Elle changea la petite, prépara un biberon, puis rejoignit Louis, déjà occupé à faire chauffer l’eau.

— J’ai fait un peu de ménage ici.

Valérie s’assit, sentant le poids de l’épuisement émotionnel. Tant de mois d’angoisse : sera-t-elle démasquée ? Virée ? Sans s’en rendre compte, elle éclata en sanglots.

Louis posa la tasse près d’elle.

— Raconte-moi tout.

— Quoi ? demanda-t-elle, surprise.

— Tout, depuis le début : ta vie, ton parcours.

Valérie parla, entre deux gorgées de thé, prenant conscience de son malheur. Sa vie était différente, pleine d’obstacles. Pourquoi ? Elle l’ignorait.

Louis n’osait pas la regarder, submergé par son propre passé de douleur et d’injustice.

— Écoute, dit-il enfin, reste chez toi quelques jours. Je vais appeler quelqu’un. Dans deux jours, on trouvera une solution.

— Pour nous ? demanda-t-elle.

— Je ne peux pas te laisser dans cette situation. D’autant plus que tu fais un boulot parfait, sourit-il. Bon, je m’en vais. Bonne nuit.

Louis se leva et sortit, laissant Valérie déconcertée. Elle n’eut même pas le temps de le remercier. Après un instant, elle ferma la porte et aperçut, dans le couloir, une liasse de billets posée sur une petite table. Elle s’effondra en larmes.

Le lendemain, elle échangea un billet. La température d’Emilie montait. Le médecin prescrit médicaments et vitamines. Valérie courut à la pharmacie. Heureusement, elle n’avait qu’à traverser la rue.

De retour chez elle, la sonnette retentit. Son cœur s’emballa : elle supposa que c’était Louis. Mais en ouvrant, elle faillit refermer la porte en voyant un jeune homme au sourire arrogant.

— Salut, maman solo. Tu accueilles tes invités comme ça ?

Il la poussa pour entrer. Deux autres personnes suivirent, s’installant comme chez elles. La femme étala des papiers.

— Alors, tu as réfléchi ?

— J’ai réfléchi. Partez ou j’appelle la police.

— Vas-y, appelle, mais rappelle-toi que la police pourrait être la dernière chose que tu verras. Pense à ton bébé.

Valérie bouillonna :

— Qui êtes-vous ? Je ne vends pas mon appartement !

— Tu le vendras. Plus tu résistes, moins ça vaudra. Décide vite.

Le jeune homme annonça un prix. Valérie éclata de rire malgré la peur.

— Tu plaisantes ? C’est le prix d’une salle de bain.

Il sourit.

— Dans quelques jours, tu accepteras, pour encore moins.

— Dehors ! Je ne vendrai rien.

Le jeune homme fit un pas vers elle, puis tomba soudainement. Derrière lui, Louis.

— Quelqu’un d’autre a besoin qu’on lui explique que l’appartement n’est pas à vendre ?

Les intrus disparurent rapidement. Louis se tourna vers Valérie :

— Pourquoi ne m’as-tu rien dit ?

— Je ne savais pas qu’ils reviendraient, murmura-t-elle, effrayée.

Cette vulnérabilité toucha Louis. Si fragile, si douce…

— Prépare-toi.

— Pour quoi ?

— Pour là où tu dois aller.

Son ton dur fit éclater Valérie en sanglots.

— Je suis désolée. Tu viens avec moi. Je ne suis presque jamais chez moi, ce sera plus sûr. Qui sait ce que ces vautours risquent de faire.

Obéissante, elle rassembla ses affaires. En quinze minutes, ils quittaient l’appartement. Une voisine regarda depuis son balcon.

— Val, ton gars est là ? Je vais pouvoir éviter de garder Emilie, et toi tu pourras arrêter de faire le ménage ?

Louis sourit, avec une menace claire dans les yeux.

— Exactement. Merci pour ton aide.

La voisine claqua la porte, terrifiée.

— Ce n’est pas un homme, c’est une bête. Valérie s’est encore fait remarquer… Elle n’a rien, un enfant… Même un pauvre mouton donne au moins sa laine.

Valérie découvrit l’appartement spacieux.

— C’est beau ici.

— C’est parce que je l’ai acheté vide, les murs nus. Cette chambre sera la tienne.

Il ouvrit une porte où traînaient un peignoir et des chaussons.

— Ce n’est pas ta chambre ?

— Ne commence pas. Ce n’est pas un bureau. C’est grand et clair, tu vivras là, moi je prendrai l’autre.

— Pas très pratique…

— Mieux vaut dormir ailleurs que sous un plafond. Installe-toi, j’arrive bientôt.

Louis s’éloigna. Valérie déballa ses affaires puis alla chercher un verre d’eau. Dans l’évier, une pile de tasses sales trahissait les habitudes de Louis, amateur de café. En moins d’une heure, des boulettes mijotaient, les pommes de terre bouillaient, et Valérie souriait à Emilie, allongée sur le canapé.

La porte claqua. Louis entra en courant, enthousiaste.

— J’ai faim, vivement qu’on mange.

Valérie prit Emilie et suivit Louis. Dans le couloir, un nouveau lit bébé et une poussette attendaient, remplis de vêtements.

— Je n’ai pas cet argent, je ne sais pas quand je pourrai te rembourser.

Louis sourit.

— Je ne te demande pas de me rembourser.

Après le dîner, ils réarrangèrent les meubles. Louis faisait l’idiot, Valérie riait. Même Emilie semblait babiller dans sa langue.

Cette nuit-là, Valérie ne dormit pas. Louis non plus. Il comprit soudain combien c’était bon de ne plus être seul.

Au petit-déjeuner, Louis lança :

— On devrait se marier.

Valérie laissa tomber son couteau.

— Quoi ?

— Je dis qu’on devrait se marier. Emilie a besoin d’un père, toi d’un soutien. Tu galères toute seule.

Elle le regarda, surprise.

— Je n’avais jamais imaginé une demande en mariage comme ça.

Louis posa sa fourchette, cherchant ses mots. Comment avait-il pu tomber amoureux en une journée d’une femme avec un bébé qui lavait la vaisselle dans son restaurant ? Valérie s’avança et l’embrassa doucement. Il fut électrisé. Puis il recula, prit son téléphone.

— Tu peux gérer sans moi ? J’ai des choses à faire. Ne m’attends pas au boulot. Et trouve une nouvelle plongeuse. Valérie est virée.

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