L’homme de la photo : le jour où une inconnue a reconnu mon visage

Je n’avais pas prévu que quelques jours à la mer se transformeraient en énigme vivante.
Ma sœur m’avait juré que cette petite ville côtière était parfaite : calme, iodée, avec des rues pavées où l’on croise plus de chats que de touristes. Après des mois à accumuler le stress, je m’étais dit : pourquoi pas ?

Le premier matin, j’avais enfilé mes baskets pour un jogging. Les ruelles étaient encore baignées d’une lumière pâle, et seules les vagues au loin rythmaient mes pas. J’étais bien, concentré sur ma respiration, quand une voix claire a traversé le silence :

— Attends ! Arrête-toi ! Je te connais !

Je me suis immobilisé, surpris. Une petite fille d’environ huit ans, robe fleurie, tresses brunes, se tenait au milieu de la ruelle. Son regard brillait d’une étrange détermination.

— Tu es l’homme de la photo ! a-t-elle déclaré comme si c’était la chose la plus évidente du monde.

Avant que je ne trouve quoi répondre, elle a couru vers moi et m’a pris la main avec une assurance déconcertante.

— Viens ! Ma maman doit te voir !

J’ai retiré ma main, un peu gêné.

— Attends… comment tu me connais ?

Ses yeux noisette m’ont fixé, pleins d’une conviction absolue.

— Ta photo est dans le portefeuille de ma maman. Je la vois tous les jours.

Je suis resté interdit. Pourquoi diable ma photo serait-elle dans le portefeuille d’une inconnue ?

— Et ta maman, comment s’appelle-t-elle ?

— Julia.

Ce prénom… une impression fugace a traversé mon esprit, comme un écho oublié. Mais impossible de l’associer à un visage.

— Tu viens ? a-t-elle insisté, tirant sur ma main avec une force surprenante pour sa taille.

J’ai hésité. Puis, poussé par une curiosité mêlée d’un léger malaise, je l’ai suivie. Nous avons parcouru deux ruelles avant de nous arrêter devant une petite maison blanche aux volets bleus. Elle a ouvert la porte d’un geste sûr et a crié :

— Maman ! Il est là ! L’homme de ta photo !

Je suis resté sur le seuil, le cœur battant plus vite. Des pas précipités ont résonné dans le couloir. La petite est revenue avec une femme.

Quand elle m’a vu, elle s’est figée net. Ses yeux se sont agrandis, sa main a couvert sa bouche.

— Ce… ce n’est pas possible…

Ses genoux ont légèrement fléchi, comme si elle devait lutter pour rester debout. Les larmes lui sont montées aux yeux presque instantanément.

— Julia ? ai-je murmuré.

Elle a hoché la tête, incapable de détacher son regard du mien.

— Comment… comment est-ce possible ? a-t-elle balbutié.

Je ne savais pas quoi répondre. J’étais sûr de ne l’avoir jamais rencontrée. Et pourtant, il y avait dans ses traits quelque chose de troublant, comme un souvenir qui refuse de se laisser saisir.

La petite fille nous observait tour à tour, intriguée par le silence.

— Maman, c’est bien lui, hein ?

Julia a essuyé ses larmes, mais ses mains tremblaient.

— Entre, s’il te plaît.

J’ai franchi le seuil, encore plus perdu qu’avant. L’intérieur sentait le bois ciré et le café frais. Elle m’a conduit jusqu’à la cuisine. Sur la table, un portefeuille ouvert laissait voir quelques billets, des cartes… et une vieille photo.

Je l’ai prise.

C’était moi. Ou plutôt, un homme qui me ressemblait trait pour trait : mêmes yeux, même sourire, même cicatrice à la lèvre. Mais la photo semblait avoir été prise il y a longtemps, dans un décor que je ne reconnaissais pas.

— Où avez-vous eu ça ? ai-je demandé, la gorge sèche.

Julia s’est assise.

— Cette photo appartenait à mon frère. Il est mort il y a huit ans.

Je suis resté figé, incapable de bouger.

— Vous voulez dire… que je lui ressemble ?

Elle a secoué la tête.

— Pas “ressembler”. Vous êtes son portrait parfait. Même voix… même façon de vous tenir.

Je ne savais pas quoi dire.

— Il s’appelait comment ?

— Thomas.

Le prénom m’a percuté comme un coup. Mon deuxième prénom. Mais ce n’était qu’une coïncidence… non ?

Julia a baissé les yeux.

— Il est mort dans un accident de bateau. On n’a jamais retrouvé son corps. Pendant des années, j’ai cru… j’ai espéré qu’il reviendrait.

Elle a relevé la tête, les yeux brillants :

— Et maintenant, vous êtes là.

Un silence lourd a envahi la pièce. La petite fille, qui jusque-là jouait avec un morceau de pain, m’a observé avec un sourire confiant, comme si toute cette situation avait un sens évident pour elle.

— Peut-être que c’est un signe, a-t-elle dit doucement.

J’ai voulu protester, dire que c’était impossible. Mais au fond de moi, quelque chose vacillait. Je n’avais aucun souvenir de Julia ou de sa famille… et pourtant, une sensation étrange de familiarité m’enveloppait.

— Vous êtes sûr que nous ne nous sommes jamais rencontrés ? ai-je demandé.

— Absolument sûre, a répondu Julia. Mais… je connais ce regard.

Elle m’a raconté alors comment son frère avait disparu, comment, pendant des années, elle avait conservé cette photo comme un talisman. Et comment, en me voyant, elle avait eu l’impression que le temps venait de se plier sur lui-même.

Nous avons parlé longtemps, essayant de recoller des morceaux qui ne semblaient pas appartenir au même puzzle. Chaque détail qu’elle donnait sur Thomas semblait étrangement me correspondre : goûts, habitudes, même une peur irrationnelle des orages que je n’avais jamais vraiment su expliquer.

Quand je suis reparti, le soleil commençait à descendre sur la mer. La petite m’a accompagné jusqu’au portail.

— Tu reviendras demain ?

J’ai hésité, puis j’ai hoché la tête.

Sur le chemin du retour, une question obsédante tournait dans mon esprit : qui étais-je vraiment pour cette famille ? Un simple sosie ? Ou bien… autre chose ?

Je n’avais pas encore la réponse. Mais je savais que mes vacances venaient de prendre une tournure bien plus étrange que prévu.