Le chien a été emmené au plus profond de la forêt et laissé attaché à un arbre, dans l’espoir de se débarrasser de lui pour toujours.

Roger avait toujours été un chien calme et fidèle, un chien qui ne demandait rien de plus que de l’attention et de la gentillesse. Il était venu dans la famille il y a quatre ans, un petit chiot au pelage doré, et il avait vite pris sa place parmi eux. Mia, la petite fille de la maison, n’avait que six mois lorsque Roger l’avait rencontrée pour la première fois. Au début, elle n’était qu’un bébé qui riait et qui pleurait, mais à mesure qu’elle grandissait, elle devenait plus curieuse. Elle adorait jouer avec lui, lui tirer les oreilles, lui lancer des jouets. Roger était patient, toujours calme et doux, bien qu’il ressentait parfois la douleur dans ses oreilles tirées et dans ses pattes allongées sous les coups maladroits de la petite fille. Mais il savait que c’était ainsi que les enfants étaient, et il tolérait tout cela sans jamais se fâcher.

Les premiers signes de changement commencèrent lorsqu’elle eut un an. Mia était devenue plus autonome. Elle marchait avec confiance à travers la maison, explorant chaque recoin de ce monde qu’elle commençait à comprendre. Roger était toujours là, toujours à l’affût, prêt à intervenir à tout moment. Il était le protecteur invisible de Mia, toujours là pour veiller sur elle. Il savait que son rôle était de la protéger, de la guider, et de la garder en sécurité. Mais cela changea un jour, lorsque tout bascula.

Un après-midi, Mia, dans son enthousiasme, grimpa sur un petit tabouret pour attraper une casserole posée sur la table. Roger était là, observant silencieusement. Lorsqu’il entendit le bruit de la casserole tombant et de la chute de Mia, il se précipita. En un instant, il poussa le tabouret pour éviter que l’enfant ne se fasse mal. Mais en tombant, Mia se heurta à un meuble, se frottant les genoux sur le sol.

La mère, qui était dans une autre pièce, entendit le bruit et accourut. En entrant, elle vit la scène d’un autre œil. Elle ne comprit pas ce qui s’était réellement passé. Au lieu de voir Roger sauver Mia d’une situation dangereuse, elle ne vit que le chien près de l’enfant qui était tombée. Son esprit s’emballa. Il avait renversé Mia. Il l’avait attaquée, était jaloux de l’attention que l’enfant recevait. La colère monta rapidement en elle.

“Il a failli tuer Mia !” s’écria-t-elle à son mari, en désignant Roger. “Je t’avais dit que ce chien ne devrait pas être ici ! Il est dangereux !”

Le mari, choqué, tenta de calmer les choses. “Non, non, ce n’est pas ce qui s’est passé. Roger a juste réagi, il essayait de protéger Mia. Il a poussé le tabouret.”

Mais la femme n’écoutait pas. Ses yeux étaient remplis de larmes de frustration et de peur. “Je t’ai dit qu’il ne fallait pas le garder ! Il est trop grand, trop imprévisible ! Il doit partir, tout de suite !”

L’injustice dans les yeux de la femme était palpable. Les cris augmentèrent. Roger, se sentant rejeté et incompris, se coucha dans un coin, baissant la tête. Il avait toujours été là pour eux. Il les avait aimés et protégés, mais maintenant, il n’était plus qu’un problème.

“Il faut qu’il disparaisse. Nous devons nous en débarrasser définitivement,” dit-elle avec une voix dure. “Et cette fois, il ne reviendra pas. Je ne veux plus jamais le revoir.”

Le mari, hésitant, soupira. “Mais tu es en colère, tu ne penses pas clairement. Nous ne pouvons pas faire ça.”

Mais elle insista, et, sous la pression, il céda. La décision fut prise. Ils allaient emmener Roger loin, très loin, dans la forêt, et là, le laisser. Ce n’était plus un chien de la famille, c’était une menace. Une menace qu’il fallait effacer.

Ce fut ainsi qu’ils partirent tôt le matin, Roger dans la voiture, les deux silhouettes silencieuses à l’avant, leur décision prise. Arrivés dans la forêt, loin de la maison et de la chaleur familière, Roger fut attaché à un arbre, sans comprendre ce qui se passait. Il regarda autour de lui, comme s’il attendait qu’ils reviennent pour le libérer, comme ils l’avaient toujours fait auparavant, après une simple promenade.

Mais cette fois-ci, tout était différent. Il n’y avait pas de promesse de retour, pas de caresses réconfortantes ni de sourire pour lui dire qu’il était un bon chien. Le mari se tourna et s’éloigna. La femme le suivit, sans un regard en arrière.

Roger resta là, seul, la corde tirée autour de son cou, la peau irritée sous le collier. Il renifla le sol, cherchant quelque chose de familier, mais ne trouva rien. Les bruits de la forêt l’entouraient : le vent dans les arbres, le cri d’un corbeau au loin, le bruissement des feuilles. Mais au fur et à mesure que le temps passait, il comprit qu’il était abandonné. Il hurla, d’abord par confusion, puis par désespoir, mais personne ne vint. La douleur, la solitude et la faim le gagnèrent.

Dans la maison, la femme se tourna une dernière fois vers la fenêtre. Elle pensait à Roger, à sa “dangerosité”, et à ce qu’elle croyait être le mieux pour sa famille. Mais au fond d’elle, un petit doute naissait. Et peut-être, quelque part, elle commençait à se rendre compte qu’elle avait fait une erreur. Mais c’était trop tard.

Roger, lui, attendait toujours. Il ne comprenait pas, mais il espérait encore qu’un jour, sa famille viendrait le chercher. Pourtant, la forêt ne connaissait pas de retour. Il était seul, attaché à un arbre, dans un monde qui ne lui appartenait plus.