Le hall de la maternité retentissait de joie. Les portes vitrées s’ouvraient et se refermaient sans cesse, laissant passer un flot continu de familles éblouies. Des rires fusaient, des flashs d’appareil photo crépitaient. Une fillette sautillait autour de son père en brandissant un doudou destiné à sa petite sœur.
Mais dans un recoin du même hall, une femme restait debout, immobile. Vêtue d’un manteau trop léger pour la saison, elle tenait dans ses bras une boîte en carton couverte d’un drap blanc. Pas de ballons, pas de fleurs. Pas de ruban rose.
— Madame, vous attendez quelqu’un ? demanda poliment l’agent d’accueil.
Elle secoua la tête, sans dire un mot. Un long silence s’ensuivit, brisé uniquement par le bruit étouffé de la boîte qu’elle posait délicatement à ses pieds. Puis, d’un geste maladroit, elle sortit une enveloppe de sa poche et la tendit à l’homme. Il y lut, perplexe : « Pour la chambre 305. Madame Eléonore M. »
— C’est… pour moi ? s’étonna une voix derrière eux.
Une jeune femme venait d’arriver, encore vêtue de la blouse bleue des patientes. Elle avançait lentement, poussée dans un fauteuil roulant par une infirmière. Dans ses bras, rien. Aucune couverture, aucun bébé. Seulement ses deux mains serrées comme en prière.
— Vous êtes… ? demanda-t-elle à la femme au manteau léger.
— Jeanne, dit simplement l’autre. La mère. Mais pas la vôtre.
Un silence embarrassé s’installa. L’infirmière, confuse, fit mine de s’éloigner. Mais Eléonore resta figée.
— On m’avait dit qu’elle n’avait pas survécu, murmura-t-elle.
Jeanne acquiesça doucement.
— C’est vrai. Elle n’a pas survécu. Mais elle a vécu. Quatre heures et dix-huit minutes. Assez pour avoir un prénom. Assez pour entendre une chanson. Et assez pour que je veuille qu’on la reconnaisse.
D’un geste délicat, elle souleva un pan du drap. À l’intérieur de la boîte, une minuscule silhouette reposait, paisible, emmaillotée dans une couverture blanche sans fioritures.
— Elle s’appelait Lila. Ce n’était pas grand-chose. Mais c’était à moi. Et je me suis dit que… peut-être… vous voudriez lui dire au revoir.
Eléonore ne répondit pas tout de suite. Elle regarda le corps sans vie, si petit, si calme, puis les yeux de Jeanne, qui ne pleuraient plus. Ils avaient pleuré trop longtemps.
— Je veux, dit enfin Eléonore.
Elles s’assirent toutes les deux sur le banc près de l’ascenseur. Et dans l’agitation du hall, au milieu des rubans, des cris et des bouquets, deux femmes en silence firent adieu à une enfant que personne n’avait attendue, mais que l’amour avait tout de même accompagnée.