— Monsieur, aujourd’hui c’est l’anniversaire de ma mère… Je voulais acheter des fleurs, mais je n’ai pas assez d’argent…
Le garçon parlait d’une voix douce, presque inaudible, debout devant la vitrine embuée d’un petit fleuriste de quartier. Il avait huit ans, peut-être neuf, et dans ses mains, un vieux porte-monnaie d’enfant, en plastique bleu, tout cabossé.
Le fleuriste, un homme aux cheveux poivre et sel et aux lunettes épaisses, le regarda un instant. Ce n’était pas rare, les enfants curieux, ou ceux qui venaient mendier une rose fanée en fin de journée. Mais celui-ci avait quelque chose de différent. Il ne suppliait pas. Il ne pleurait pas. Il attendait, figé, comme s’il tenait bon contre le poids du monde.
— Comment tu t’appelles, mon petit ? demanda le fleuriste, adoucissant sa voix.
— Karim.
— Et tu veux des fleurs pour ta maman, c’est ça ?
Le garçon hocha la tête.
— Elle est où, ta maman ?
Un silence.
— Au cimetière. Section E, sous le grand tilleul. Elle aimait les callas blancs. Je voulais lui en offrir. Juste un bouquet. Aujourd’hui, elle aurait eu quarante ans.
Le fleuriste sentit quelque chose se nouer dans sa poitrine. Il ouvrit la porte, fit signe au garçon d’entrer. À l’intérieur, l’air était lourd de parfum : roses rouges, pivoines mauves, lys blancs, et là, dans un vase discret, un bouquet de callas.
Karim les vit immédiatement. Il s’approcha, les regarda comme on regarde un souvenir lointain.
— Combien tu as ? demanda doucement le fleuriste.
Le garçon ouvrit son porte-monnaie. Il y avait des pièces, quelques billets froissés, un jeton de caddie, et un bouton de chemise. Le fleuriste les compta sans un mot.
— C’est… la moitié du prix.
Karim baissa les yeux.
— Je peux revenir tous les jours après l’école. Aider. Balayer. Porter les seaux. J’apprendrai vite. Je vous rembourserai…
Mais le fleuriste n’écoutait déjà plus. Il emballait délicatement les callas dans du papier blanc. Puis, il y glissa une petite carte.
— Voilà, dit-il. C’est un cadeau. Mais j’ai une condition.
Karim releva la tête, surpris.
— Tu reviendras me raconter comment c’était, là-bas. Sous le tilleul.
Le garçon serra le bouquet contre lui, ses yeux brillants.
— Promis.
Il sortit du magasin en courant presque, comme si ses jambes ne pouvaient contenir toute l’émotion en lui. Le fleuriste resta un moment à regarder la porte. Puis il retourna à son comptoir, en silence.
Quelques jours plus tard, Karim revint. Il portait le même manteau usé, les mêmes chaussures raccommodées. Il s’arrêta sur le seuil.
— Il y avait du vent, ce jour-là. Les feuilles du tilleul dansaient. J’ai posé les callas, et j’ai lu la carte. Vous aviez écrit : “Pour une maman qui ne sera jamais oubliée.”
Le fleuriste sourit, les yeux brillants à son tour.
— Elle n’est pas oubliée, Karim. Tu es là.