Le soleil baignait la clairière où nous avions installé l’arche fleurie. Tout était parfait. Des guirlandes de gypsophile pendaient aux branches, les bancs en bois étaient recouverts de dentelle, et les invités murmuraient d’émotion en s’éventant doucement.
J’étais prête. Pas seulement pour marcher vers l’autel, mais pour cette nouvelle vie. Pour devenir officiellement l’épouse de Marc et continuer à être la belle-maman d’Amelia – cette petite étoile qui était entrée dans ma vie à six ans, les yeux pleins de questions et le cœur brisé par la perte de sa mère. Et qui, au fil des ans, m’avait laissé m’approcher, aimer, consoler, construire avec elle.
Elle avait insisté pour être ma bouquetière. Elle avait choisi elle-même son diadème, arrangé les fleurs avec moi, répété sa démarche dans le couloir, le chat dans les bras. Elle était surexcitée, impatiente.
Et pourtant, quand la musique a commencé et que les invités se sont tournés vers le début de l’allée, Amelia n’était pas là.
— Où est Amelia ? ai-je demandé, la gorge serrée, essayant de sourire malgré le vertige qui montait.
Marc a balayé l’assemblée du regard, déjà inquiet. Quelqu’un a dit qu’il l’avait vue près du vestiaire, vingt minutes plus tôt. D’autres pensaient qu’elle s’était peut-être endormie, qu’elle avait eu le trac.
Mais je savais. Quelque chose n’allait pas.
Nous avons interrompu la cérémonie. Les invités ont commencé à se lever, à chercher dans les allées, derrière la tente de réception, autour du buffet. Puis, soudain, un cri :
— J’entends frapper !
La voix venait du petit bâtiment en pierre à côté du jardin, où étaient rangés les manteaux et les affaires de secours en cas de pluie. Un vieux placard grinçait là-bas, inutilisé. Nous avons couru.
Quand nous avons ouvert la porte, Amelia était recroquevillée à l’intérieur, son bouquet froissé contre sa poitrine, les joues trempées de larmes. Elle tremblait, incapable de parler, les yeux grands ouverts. Elle a simplement pointé du doigt, derrière nous.
Marc s’est retourné.
Et là, figée, blanche comme un linge, se trouvait la tante d’Amelia – la sœur de la mère défunte.
Celle qui avait toujours gardé ses distances avec moi. Qui avait refusé de venir aux dîners familiaux, qui me lançait des regards glacés chaque fois que je prenais la main d’Amelia.
Marc s’est avancé, incrédule.
— Claire ? Qu’est-ce que… tu fais ici ? Pourquoi elle était enfermée là-dedans ?
Claire a éclaté en sanglots. Des larmes amères, lourdes de rancune.
— Elle allait marcher vers l’autel… comme si toi tu pouvais remplacer sa mère. Elle ne comprenait pas… Elle est si jeune. Elle pense que tout ça, c’est beau, que c’est bien. Mais elle ne se rend pas compte de ce qu’elle a perdu. De qui elle a perdu.
— Alors tu l’as enfermée ?! ai-je soufflé, la voix cassée. Tu l’as prise à part pour la « protéger » ?!
— Je voulais juste lui parler. Mais elle voulait partir… Elle n’écoutait pas, alors… j’ai paniqué. Je voulais qu’elle réfléchisse. Qu’elle comprenne.
Marc l’a éloignée doucement. J’ai pris Amelia dans mes bras. Elle s’est accrochée à moi comme à une bouée, sans un mot. Et à ce moment-là, j’ai compris que l’amour ne se prouve pas dans une robe blanche ou une cérémonie parfaite. Il se prouve dans ce qu’on fait quand un enfant tremble, quand elle a besoin qu’on soit là. Vraiment là.
Nous avons reporté la cérémonie. Non pas parce que nous n’étions plus sûrs, mais parce qu’Amelia avait besoin qu’on la remette au centre. Qu’elle comprenne qu’elle ne serait jamais une pièce secondaire dans cette nouvelle histoire.
Et deux semaines plus tard, c’est elle qui m’a prise par la main et qui a dit :
— C’est le bon moment maintenant. Je suis prête.
Et elle a marché avec moi, bouquet à la main, le sourire revenu.