Mathieu s’était garé près de l’ancienne maison familiale, les pneus crissant légèrement sur l’asphalte chaud. La poussière des années semblait s’être accumulée autour du vieux portail rouillé. Il n’était revenu ici que rarement, et jamais depuis le décès de sa mère, il y avait huit ans. En cette fin de journée d’été, il avait décidé de prendre le temps de revenir sur ses pas, de se confronter à son passé. Il en avait assez de sa vie d’homme d’affaires impitoyable, coincé dans un tourbillon sans fin de contrats et de faux sourires.
Le vent soufflait doucement, et dans l’air, il sentait encore un peu de l’odeur de la cuisine de sa mère, celle qui avait bercé son enfance. L’endroit était plus calme que jamais, comme figé dans le temps. Pourtant, une étrange sensation d’abandon pesait sur lui, bien qu’il n’eût jamais eu à se soucier de cette maison après sa mère. La voisine, une vieille amie de la famille, avait toujours veillé à ce qu’elle soit en bon état. Mais aujourd’hui, le poids du vide semblait l’accueillir, comme un miroir brutal de son propre isolement.
Il s’approcha de la tombe de sa mère. Le marbre blanc était propre, poli, sans une éraflure. Il s’était attendu à un spectacle de négligence, mais tout semblait si… préservé. Il se sentait honteux, un mal de ventre qui ne passait pas. Comment avait-il pu l’abandonner ainsi, lui qui avait pourtant tout pour être heureux, qui était respecté, admiré même ? Sa mère l’avait élevé seule, sans jamais se laisser abattre par la vie. Il lui avait tout pris. Son amour. Ses sacrifices. Et en retour, il l’avait ignorée, comme un enfant gâté par son propre égoïsme.
Mathieu se laissa tomber sur un banc proche de la tombe. Un poids lourd pesait sur son cœur, l’obligeant à faire face à ses erreurs passées. Il se rappelait de son mariage avec Natasha, cette jeune femme brillante qu’il avait épousée trop tôt, sans voir les fissures sous la surface. Ils avaient vécu dans l’illusion d’une famille parfaite, mais tout avait éclaté le jour où Natasha lui avait révélé qu’elle le détestait, qu’elle n’avait jamais aimé sa vie avec lui. Elle était partie, le laissant seul avec les ruines de son monde.
Le divorce avait été un choc, un cataclysme. Il se sentait comme si tout ce qu’il avait bâti n’avait aucune valeur. Les affaires, les biens, les apparences… tout cela s’était effondré comme un château de cartes. Mais malgré la douleur, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un étrange soulagement. Natasha, en détruisant ce qu’il avait construit, lui avait permis de voir la vérité, aussi cruelle fût-elle.
En repensant à tout cela, une petite voix attira son attention. Mathieu tourna la tête et aperçut une fillette qui se tenait là, une gamine d’une dizaine d’années, les yeux grands ouverts, comme si elle attendait qu’il réponde à un appel qu’il n’avait pas vu venir.
— Monsieur, dit-elle timidement, pourriez-vous m’aider à porter ce seau d’eau ? Il faut arroser les fleurs de ma mère. Elle n’est pas bien aujourd’hui et je ne veux pas qu’elle sache que je suis sortie toute seule. Je suis trop petite pour porter un seau plein d’eau.
Mathieu la regarda un instant, frappé par la candeur de sa demande. Sans réfléchir, il acquiesça. Après tout, cela ne pouvait pas lui faire de mal de se concentrer sur autre chose, même pour un instant.
— Bien sûr, répondit-il avec un sourire. Où devons-nous aller ?
La fillette sourit, ses yeux brillants de gratitude. Elle lui montra le chemin, et ensemble, ils marchèrent vers le point d’eau. En chemin, la petite parlait sans cesse, racontant à Mathieu des histoires sur sa mère, sur sa vie, et sur la manière dont elle aimait prendre soin du jardin. Ses paroles étaient simples, mais pleines de cette innocence pure que Mathieu avait perdu depuis bien longtemps.
Lorsqu’ils arrivèrent à la fontaine, il prit le seau, le remplissant d’eau fraîche. Ils repartirent en silence, mais ce silence était différent. Il n’était pas lourd comme celui qui pesait sur son cœur, mais léger, presque apaisant. La petite s’arrêta près des fleurs et, avec un sourire éclatant, commença à arroser avec soin.
Mathieu la regarda, touché par sa gentillesse. Il comprit alors que, bien que son monde ait été dévasté, il restait encore des actes de pureté et de simplicité qui pouvaient guérir, lentement mais sûrement, les blessures du passé. Il n’avait jamais pris le temps d’apprécier ces petites choses. La tendresse, l’attention, la générosité d’un geste simple.
Il regarda la fillette, se sentant soudainement moins seul, et se promit de ne plus jamais laisser passer autant de temps sans se rappeler de ces vérités simples mais essentielles. La vie, après tout, était faite de moments comme celui-ci.